« La Grèce, par amour » - Retour sur le bicentenaire de la révolution grecque [el]
Tribune de Patrick Maisonnave, Ambassadeur de France en Grèce, parue dans l’édition du mois de décembre du Journal du Parlement hellénique, sous le titre « La Grèce, par amour ».
« La Grèce, par amour »
Je ne reviendrai pas ici longuement sur l’histoire du soulèvement de la Grèce. Alors que se termine cette année de célébration du bicentenaire, beaucoup a été dit et écrit par les meilleurs historiens, grecs et français notamment, sur les événements qui ont conduit à l’émancipation de la Grèce moderne. Je tiens donc à saluer toutes les initiatives, publiques et privées, qui ont été prises, en Grèce et en France, pour faire mémoire et, par des livres, des expositions, des conférences, des concerts, rappeler à nos contemporains la violence des combats, l’âpreté de la lutte et l’ampleur des sacrifices de nos ancêtres.
Qu’il me soit modestement permis d’évoquer « nos » ancêtres, puisque, au-travers des initiatives qui ont été prises cette année, chacun connaît aujourd’hui un peu mieux le rôle des Philhellènes français et de toute l’Europe qui, épris de liberté, porteurs des idéaux de la France révolutionnaire, sont venus verser leur sang aux côtés des farouches guerriers grecs. Parmi ces volontaires, un sur six était Français.
Je voue une admiration sincère à ces jeunes volontaires. La plupart, souvent anciens de la Grande Armée napoléonienne, étaient âgés de moins de 30 ans. Leurs témoignages, lorsqu’ils sont parvenus jusqu’à nous, évoquent de la compassion pour la situation des Grecs opprimés et leur admiration pour leur résistance séculaire. Je rappelle ainsi à notre mémoire collective les noms de FABVIER, RAYBAUD, VOUTIER, PERSAT, JOURDAIN et de tant d’autres Français, libéraux et radicaux, républicains et royalistes, qui, aux côtés des chefs de guerre grecs, prirent part aux mêmes combats, tous unis par la même passion de la liberté, de l’émancipation des peuples et de la nation.
Représentant la France en Grèce, je n’oublie pas non plus que le gouvernement de la France, pas plus que les autres gouvernements d’une Europe sortie du congrès de Vienne, n’était guère favorable (c’est un euphémisme !) au soulèvement de la Grèce. Sortie exsangue des guerres napoléoniennes, l’Europe n’aspirait alors qu’à un retour à l’ordre et à la stabilité. Mais c’était sans compter sur l’immense élan de solidarité populaire qui a vu le jour, pris la forme de comités de soutien réunissant armes et argent, et s’est illustré au-travers des multiples écrits, pamphlets, placets, articles de presse, chansons, opéras, sans oublier les objets de la vie quotidienne, pendules, vaisselle, tabatières… Comme plusieurs historiens l’ont justement noté, le soulèvement grec est ainsi devenu, pour la première fois dans l’histoire du monde, une affaire d’opinion publique qui a finalement contraint les gouvernements à s’engager.
A ce titre, la Grèce commémore justement chaque année, en présence de représentants britanniques, russes et français, la bataille navale de Navarin - dernière grande bataille de la marine à voile - qui, en 1827, a changé le cours de l’histoire. Je rappelle aussi le débarquement, l’année suivante, dans le Péloponnèse, du corps expéditionnaire français qui, fort de 15 000 soldats placés sous les ordres du général MAISON, a finalement changé le rapport de forces, faisant de mon pays l’une des puissances protectrices de la Grèce, en 1830, au moment de la reconnaissance de l’indépendance du pays.
J’ai été heureux (et, oserai-je le dire, un peu fier également, car la France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle se porte aux avant-postes des combats pour la liberté) de redécouvrir cette année l’implication, au service du soulèvement de la Grèce, des grandes figures littéraires et artistiques de la France.
J’ai relu avec joie les « Orientales » de Victor Hugo, dont j’ai eu le privilège de lire, devant Madame la Présidente de la République hellénique, le poème intitulé « L’enfant », que tant de Grecs ont appris à l’école.
J’ai redécouvert le manifeste brillant que Chateaubriand avait écrit pour convaincre le gouvernement français de s’engager : « Notre siècle verra-t-il des hordes de sauvages étouffer la civilisation renaissante d’un peuple qui a civilisé la terre ? »
J’ai découvert que Berlioz avait composé un opéra pour magnifier le courageux combat des Grecs.
Je me suis rendu sur l’île de Chios, avec le Président du Sénat français qui a souhaité se recueillir sur le lieu même des massacres commis le jour de Pâque de l’année 1822, et qui ont inspiré à Delacroix l’un de ses tableaux les plus émouvants.
J’ai visité, à Athènes, 12 rue Zissimopoulou, le nouveau et passionnant musée du Philhellénisme qui donne vie à quelques illustres Philhellènes européens, à travers les témoignages si touchants de leurs descendants.
J’ai visité au musée Bénaki, rue Piraeos, à Athènes, une exposition époustouflante consacrée au bicentenaire. J’ai eu le privilège d’assister, à Paris, au musée du Louvre, à l’inauguration, par le Président de la République française et le Premier ministre grec, d’une exposition dédiée à la naissance de la Grèce moderne, et j’ai accompagné de nombreuses personnalités françaises qui ont souhaité découvrir l’impressionnante exposition, si richement documentée, organisée ici même, à la Vouli, par des historiens passionnés.
J’ai admiré, au sein de la nouvelle et remarquable Pinacothèque d’Athènes, l’exceptionnelle collection de peintures grecques du XIXème siècle, et je garderai longtemps le souvenir de cette belle exposition « Léonidas, Napoléon, Botzaris : la langue des symboles », organisée, à Thessalonique, par la Fondation Teloglion de l’Université Aristote.
J’ai écouté avec un grand intérêt la conférence brillante, à l’initiative de la banque Piraeus, au cours de laquelle d’éminents chercheurs ont mis à jour et compilé, dans un ouvrage qui fera date, les témoignages de diplomates français, témoins directs du soulèvement grec.
Je suis heureux que l’Institut français de Grèce, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, ait mis en ligne une belle exposition du bicentenaire, dont le titre - « la Grèce, par amour » - rappelle que votre pays a été et reste une passion française ! Heureux que la prestigieuse Ecole française d’Athènes - qui célèbre cette année son 175ème anniversaire - ait organisé de nombreux événements consacrés au bicentenaire, en apportant son expertise aux colloques et expositions organisés tant en France qu’en Grèce, et en mettant à disposition du musée Bénaki une partie de ses collections.
Je ne saurais, de peur d’en oublier, dresser l’inventaire exhaustif des événements auxquels cette année du bicentenaire m’a convié, ainsi que l’ensemble des Grecs qui, aujourd’hui, ont un souvenir plus précis, plus instruit, des événements qui ont conduit à la création d’un Etat-nation : grande « première » en Europe, modèle d’émancipation qui sera suivi par tant d’autres peuples au cours des XIXème et XXème siècle. Je songe à ce que Malraux dira de la nation, « cette donnée invincible et mystérieuse »….
Quelle joie enfin que cette célébration ait contribué à la vitalité de la relation entre nos deux peuples. En visite en Grèce à l’occasion de votre fête nationale, le 25 mars dernier, et après avoir aperçu, volant au-dessus de l’Acropole, les premiers avions Rafale, Florence PARLY, ministre française des Armées, avait déclaré : « Nous aimons votre pays avec l’enthousiasme des Philhellènes. Nous admirons le peuple du « non », son goût inaltérable pour une liberté chèrement conquise, dont les accents font écho à bien des combats et à bien des passions françaises », et ces paroles faisaient écho à celles de Yannis RITSOS, « Notre sœur la France, notre sœur bien-aimée la France », premiers mots de sa Lettre à la France, lue sur le Champ de Mars d’Athènes le 14 juillet 1945, à l’occasion de la fête nationale de mon pays.
Cette magnifique mobilisation de tous les acteurs, grecs et français, en cette année du bicentenaire, a rappelé aux Français et aux Grecs la continuité et la profondeur de notre relation à travers l’histoire. La signature du partenariat stratégique en matière de défense entre nos pays constitue, à son tour, un bel hommage à notre alliance séculaire et le gage de son approfondissement futur.
Retrouvez l’original en ligne (en grec, site externe) :
https://www.hellenicparliament.gr/userfiles/ebooks/periodiko_t033/index.html