« Patrick Maisonnave au "K" : Les initiatives turques sont dangereuses » [el]

Le magazine K de KATHIMERINI a publié dans son édition dominicale du 12 juillet 2020 un portrait de l’ambassadeur de France en Grèce, Patrick Maisonnave, dans la rubrique « Dîner avec le journal » sous le titre « Patrick Maisonnave au « K » : Les initiatives turques sont dangereuses ».

Propos recueillis par Tassoula Eptakoili.

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« Patrick Maisonnave au « Κ » : Les initiatives turques sont dangereuses » - traduction de l’article en français

Repas avec « Κ »
Patrick Maisonnave, Ambassadeur de France en Grèce

Il se souvient avec nostalgie de ses premières vacances en Grèce – à Athènes et à Paros – avec ses parents, quand il avait 14 ans. Mais aussi l’île de Sifnos qu’il a découverte plus tard, à l’âge adulte et qui lui rappelle des souvenirs agréables. Il espère avoir l’occasion d’explorer d’autres régions, comme par exemple les montagnes de l’Epire. C’est en 2004 qu’il a traversé pour la première fois le seuil du magnifique bâtiment néoclassique au début de l’avenue Vassilissis Sophias, de la maison Merlin de Douai qui abrite l’ambassade de France, en qualité de Premier conseiller (il en connaît l’histoire dans tous ses détails). Il y est revenu depuis l’année dernière en tant qu’ambassadeur. Beaucoup de choses ont changé ces quinze dernières années. Beaucoup a changé dans le ”paysage stratégique de la région élargie”, comme il précise, mais aussi dans Athènes. “Je suis impressionné par sa vivacité culturelle. Avec Berlin et Bruxelles, ces trois capitales créent un triangle de créativité et d’inspiration où des choses très intéressantes se passent. “Ceci est important car, malgré le fait que la politique se trouve partout, la résilience d’un pays est jugée au niveau de sa culture”, dit-il.

Il reste toutefois certaines choses qui n’ont pas changé : les liens d’amitié profonde qui relient les deux peuples et son affection pour notre pays. “A l’école, comme la plupart de mes compatriotes, j’avais appris le grec ancien mais maintenant j’apprends votre langue” me dit Patrick Maisonnave pendant l’apéritif, juste avant le dîner, dans le petit salon du rez-de-chaussée – celui avec l’énorme panoramique de la maison Zuber & Cie (qui représente une bataille entre Grecs et Turcs devant les colonnes du temple de Zeus Olympien, durant l’Insurrection grecque). “Mon mot préféré c’est “alitheia” (vérité) et un autre qui m’a beaucoup fait souffrir mais j’ai fini par l’apprendre, c’est le mot “apasholimenos” (je suis occupé), dit-il en riant.
En novembre dernier, peu après avoir assumé ses fonctions, il a rendu visite à Mikis Théodorakis. “Il m’a fait écouter une de ses chansons interprétée en français par Edith Piaff, “Les amants de Teruel” (ndlrd. : c’est la mélodie de “Omorphi Poli”). J’ai écouté la chanson dans un recueillement quasi religieux. C’était bouleversant. Cela pourrait vous paraître un peu comme un cliché mais cela ne l’est pas : le “miel” de nos relations, c’est la culture”.


Q : Le peuple grec affirme : « Grèce, France, une alliance ». Comment vous comprenez cela ?

R : Exactement ainsi. S’il existe un vrai allié pour la Grèce en Europe, qui lui tend toujours la main, c’est la France. Il y a une grande tradition d’amitié, nous avons partagé des moments historiques importants : le soutien aux Grecs réfugiés en France durant la dictature des colonels ; l’avion du président Valéry Giscard d’Estaing avec lequel Constantin Caramanlis est rentré en Grèce ; l’amitié du président François Mitterrand avec Andréas Papandréou, etc. Certes, on ne cesse jamais de construire une amitié, de la faire évoluer, un effort permanent est nécessaire, rien n’est acquis à jamais. Nous devons travailler ensemble pour mettre en place une stratégie commune qui renforcera davantage nos relations et nous aidera à faire face aux défis communs.

Q : Est-ce que les tensions dans la relation avec la Turquie sont un défi commun ?

R : Pour nous, les initiatives récemment entreprises par la Turquie en ce qui concerne la Syrie, la Libye (le président Erdogan a brisé l’embargo sur les armes à destination de la Libye, malgré l’accord de Berlin, qu’il a pourtant signé) et les zones de la Méditerranée orientale ne vont pas dans le sens de la paix et de la stabilité. Ce sont des initiatives dangereuses. La Turquie doit clarifier sa position et respecter ce qui a été convenu. Dans ce cadre, le renforcement de la coopération entre la Grèce et la France en matière de défense, de même qu’entre la France et Chypre s’impose. Vous savez, le paysage stratégique dans la région élargie a profondément changé depuis mon premier séjour à Athènes en tant que premier conseiller de l’ambassade, il y a une quinzaine d’années. Le premier grand changement, c’est l’activisme intense de la Turquie, son refus de respecter même ce qui a été convenu. Et, le deuxième, c’est l’évolution de la politique étrangère américaine dans la région. Nécessairement donc, la Grèce se tourne vers qui elle peut se tourner, à savoir vers la France.


Q : Après l’ ‘’ouverture’’ du tourisme grec, quel message voulez-vous adresser aux citoyens français ?

R : Je leur dirais d’abord qu’ils ont raison de vouloir voyager en Grèce : le pays est très beau, c’est pourquoi chaque année près de deux millions de Français choisissent la Grèce pour leurs vacances. Deuxièmement, j’aimerais leur dire que les conditions sanitaires sont relativement bonnes parce que le gouvernement a pris les bonnes décisions. Qu’ils viennent donc, mais qu’ils soient vigilants et qu’ils comprennent bien que cet été ne sera pas un été normal pour personne. Cela vaut également pour le tourisme en France qui a été aussi frappé.

Q : Quelle est ‘’votre’’ Athènes ?

R : Je la diviserais en trois couches : la première est à l’évidence l’Athènes antique, celle de l’Acropole, des sites archéologiques et des musées. Il suit celle des quartiers que j’affectionne comme Kolonaki, Syntagma, Plaka mais aussi ceux que j’ai découverts récemment, tel Pangrati, Kypseli et Kerameikos. Il y a aussi certains points isolés que j’aime beaucoup, comme la colline de Philopappou. J’y vais souvent – toujours en bicyclette – et je me réjouis de la vue superbe sur la ville.

Q : Pour établir un bilan des derniers mois, que diriez-vous à propos de la gestion de la crise en France et en Grèce  ?

R : Pour être honnête, lorsque le problème est arrivé, je n’étais pas sûr que le système public de la Santé puisse y faire face de manière satisfaisante après dix ans de crise économique et d’austérité. Toutefois, mes craintes ont été démenties. Les bonnes décisions ont été adoptées au bon moment et, rapidement, la Grèce a réussi à minimiser les pertes – car la pandémie est une course contre la montre. Certes, la conjoncture y a contribué. Le virus est arrivé à un moment dépourvu de flux touristiques importants, lorsque les échanges avec le reste de l’Europe n’étaient pas intenses. En France, la situation était différente. En raison de sa position géographique (au centre de l’Europe), en raison de son industrie et de son interaction continue avec le reste du monde, nous avons eu beaucoup de cas importés et il a été difficile, par la suite, de freiner la propagation du virus. Malheureusement, cette crise est si forte que nous avons vu « s’effondrer » même des pays disposant de systèmes sanitaires réputés solides. Dans les grandes lignes, néanmoins, j’aimerais souligner que la santé ne relève pas de la politique européenne - chacun agit selon ses propres capacités et comme il peut – et que, tant la Grèce que la France se sont plutôt montrées à la hauteur des circonstances.

Q : Donc, comment vous imaginer la vie après la pandémie ?

R : J’espère qu’on apprendra l’unité et la solidarité. Que le danger commun qui menace les jeunes et les plus âgés, les riches et les pauvres fournisse l’occasion de nous rendre compte que de tels problèmes ne peuvent être traités de manière efficace que collectivement. Mais, cela représente mes espoirs, à titre personnel. Il y a malheureusement la réalité : le coronavirus fonctionnera peut-être comme un catalyseur au sein de sociétés déjà accablées par des tensions et des inégalités et accélérera les évolutions. Il est possible qu’il rende notre monde plus dur et plus compétitif, qu’il contribue à l’émergence de nouveaux égoïsmes nationaux agressifs, en particulier en ce qui concerne l’économie et la montée des populismes. Les règles multilatérales que nous nous sommes données après la fin de la seconde guerre mondiale pourraient ne plus fonctionner désormais de manière aussi efficace. La pandémie risque d’accentuer les dysfonctionnements. Mais, ces règles sur lesquelles s’appuie la stabilité internationale doivent être sauvegardées. Ce sont elles qui ont donné au continent européen sa stabilité, sa sécurité ainsi que la prospérité de nos pays.

Q : La maladie Covid-19 a aussi mis en relief l’écart qui sépare le Nord et le Sud de l’Europe. Pensez-vous que l’UE sortira de cette crise plus affaiblie ?

R : Non, si elle voit la pandémie comme une opportunité pour changer sa philosophie de manière approfondie. La solidarité est la pierre angulaire de l’UE. Vous, les Grecs, vous le savez parfaitement : les pays européens ont soutenu la Grèce pendant la dure crise économique que vous avez traversée. Aujourd’hui, la nécessité de créer un nouveau mécanisme de mutualisation de la dette est évidente. Ce sujet n’est pas nouveau. Il a été posé dans le passé par plusieurs dirigeants, notamment en Grèce. C’est d’ailleurs à se demander pourquoi les pays du Nord qui ont retiré les plus grands bénéfices de l’édifice européen et des politiques de l’UE et qui encaissent plus qu’ils ne versent sont ceux qui s’opposent fortement à une telle éventualité. Mais, cette inégalité systémique ne peut pas se poursuivre. Tous doivent le comprendre. C’est une négociation complexe, mais je suis optimiste que la mutualisation deviendra réalité, qu’il y aura un accord pour effacer l’écart entre le Nord et le Sud et que personne ne sera laissé pour compte.

Q : Cette année, le 14 juillet ne sera pas fêté comme les années précédentes. Quels sont vos sentiments au sujet de ce ‘’renversement’’ ?

R : Cela me fait de la peine car j’ai toujours considéré comme une partie de mes devoirs de veiller par tous les moyens à ce que cet anniversaire soit fêté comme il convient, que ce soit une grande fête. J’avais beaucoup de projets qui sont maintenant reportés à l’année prochaine. C’était inévitable. La pandémie est toujours là. D’autre part, à cause de tant de pertes non seulement en France mais dans le monde entier, à cause de l’impact si grave économique et social de cette crise internationale de santé publique, personne n’a vraiment envie de faire la fête, même si on a envie de revoir nos amis et de passer à nouveau quelques moments d’insouciance. Le virus est toujours présent, il y a toujours le risque d’une mutation, on n’a pas encore trouvé, ni vaccin, ni thérapie spécifique. Les craintes pour notre santé et la santé de nos proches freinent la réalisation du désir d’un retour à la vie quotidienne insouciante d’avant le coronavirus.

Q : Que signifie le 14 juillet pour le Français moyen, en particulier pour les jeunes ? Pourriez-vous y répondre, non seulement en tant que diplomate mais aussi en tant qu’historien ?

R : Au-delà de son importance historique pour l’évolution de notre nation, le 14 juillet a été, est et sera à jamais le moment où la nation française s’unit. C’est une tradition léguée par nos parents, ce sont les souvenirs de notre enfance. Encore aujourd’hui, la Fête nationale crée des souvenirs pour les jeunes générations. Non seulement avenue des Champs Elysées, à Paris, avec le défilé officiel et grandiose mais sur les places des plus petites villes et des villages où des gens de tout âge célèbrent le 14 juillet avec des danses et des chansons. Et, ils se sentent fiers d’être Français.

Ses étapes

1963 : Naissance à Bayonne, dans le Pays basque
1992 : sortie de l’ENA et décision de suivre une carrière diplomatique
2004-2007 : premier conseiller à l’ambassade de France en Grèce
2007-2009 : directeur du département de l’UE à l’administration centrale
2009-2013 : directeur des Affaires stratégiques, de la sécurité et du désarmement à l’administration centrale
2013-2016 : ambassadeur de France en Israël
2016-2019 : ambassadeur pour la stratégie internationale sur des questions de lutte contre le terrorisme
2019- : ambassadeur de France en Grèce


Le menu

Foie-gras cerise à l’amande amère
Mérou basse température à la purée de pommes de terre aux olives de Kalamata, huile vierge et salicornes
Pavlova aux fruits rouges
Château Carbonnieux 2012, étiquette de Bordeaux, cépage Sémillon, parfums d’agrume et de miel.

- Lire en ligne l’article original en grec
https://www.kathimerini.gr/1087188/gallery/proswpa/geyma-me-thn-k/patrik-mezonav-sthn-k-epikindynes-oi-toyrkikes-prwtovoylies

dernière modification le 15/12/2020

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